J'ai grandi au Maroc mais je ne suis pas musulmane. Je suis venue en France pour y être tranquillement athée, et j'aimerais que les « miens » s'en accommodent, au lieu de me discriminer
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En août 2010, j’ai été ouvertement insultée par un homme ayant remarqué que, bien qu’arabe, je ne faisais pas le Ramadan. Cette insulte m’a poussée à exprimer mon ras-le-bol via un billet de blog. Pour des raisons professionnelles, je souhaite désormais supprimer ledit billet de mon blog. Parce qu'il est toujours d'actualité, je préfère cependant le laisser vivre dans ces colonnes, pour ceux qui s’y reconnaîtront comme pour ceux qui souhaiteraient se mettre dans la peau d'une apostate.
***
Gare du Nord. Durant le mois de Ramadan.
Au téléphone et entre deux gorgées de Coca, je glisse quelques mots en arabe à l’attention de mon interlocuteur à l’autre bout du fil. Subitement, un jeune homme se met en face de moi:
«Kah’ba. Ma saïmach Ram’dan»
(Pute, tu ne fais pas le Ramadan)
Le jeune insolent est ce que l’on appelle un Wesh. Je raccroche pour deux raisons. La première est que j’ai un peu peur pour mon téléphone, quand même. La seconde est que je suis quelque peu agacée d’être importunée de la sorte. J’aime les singes, mais pas ceux à casquette. Aussi, je lui signifie poliment et brièvement de ce que je pense de son intervention: «Tocard.»
Et de m’expliquer.
«Tout d’abord, je te remercie car tu as la décence de mettre ta casquette à l’endroit; n’en déplaise à Morano.
Ensuite, je vais te raconter mon histoire. Ça t’aidera certainement à comprendre pourquoi je te prends pour un tocard.
J’ai 21 ans, de culture et d’origine marocaines. Et je suis athée. Je ne suis même pas une croyante non pratiquante. Non, je suis une putain d’athée. Le genre irrécupérable, qui n’a aucune chance de figurer sur la liste d’attente pour ton Paradis.
«Pourquoi diantre es-tu athée?», dois-tu te demander. Enfin, dans ton cas, tu souhaiterais plutôt m’interroger ainsi: «Wesh ma sœur p’rquoi tu fais comme les gour?» Cette question est récurrente, rassure-toi. Tu n’es pas le premier à opiner que si les actes contre-nature existent, ceux contre-culture existent aussi. Je saisis ta pensée. J’ai grandi au Maroc, après tout; je devrais logiquement avoir l’élémentaire décence d’être musulmane. (Ou du moins, de le prétendre).
Arabe, pas musulmane
Malheureusement, je ne le suis pas.
Mon scepticisme religieux s’est manifesté quand j’étais jeune, sous les traits d’un féminisme involontaire et précoce. À noter que dans la religion musulmane, pour prier le juste, bon et miséricordieux Allah, une femme doit se vêtir et ne laisser dépasser que son visage et mains. À noter également qu’un homme n’a pas à se couvrir autant. Un jour qu’un voisin prenait congé pour prier, je vins à lui, guillerette et adorable, un foulard à la main:
«Non, les hommes ne se couvrent pas la tête», me dit-on.
«Mais c’est injuste»
«C’est la loi de Dieu»
J’ai pensé que Dieu n’était pas juste.
Quand j’ai découvert les enfants atteints de Kwashior Kor, mon réflexe initial fût le sain fou rire. Mais j’ai néanmoins pensé que Dieu n’était pas bon.
Quand j’ai appris et compris les textes saints, j’ai pensé que Dieu n’était pas miséricordieux.
J’ai traité le tout-puissant d’imposteur. Je l’ai haï, avec toute la force du ressentiment juvénile.
Puis, j’ai pensé que Dieu n’était pas. Un Dieu créateur, peut-être, même si j’aurais tendance à l’appeler Hasard. Un Dieu régent, certainement pas.
Cela dit, je ne cherche à convaincre personne. J’évite généralement d’affirmer ab hoc et ab hac que j’ai raison, parce qu’au fond, je comprends les croyants. En fait, non, je suis consensuelle, et si je ne me chicane plus, c’est par paresse. La tolérance d’opinion n’est rien d’autre que la flemme de débattre.
J'ai quitté le Maroc pour être athée tranquille
J’ai quitté le Maroc par égard pour la population majoritairement musulmane: je n’ai pas cherché à prêcher la parole du Non-Dieu, je n’ai pas essayé d’adapter un pays à ma personne. Non. Courageuse, ou lâche, je m’en fous; j’ai voulu adapter ma personne à un pays.
Tant qu’à faire, un pays francophone où les collégiens ne me taquineraient pas lourdement car mon père a une peau couleur café. Un pays sacralisant les libertés individuelles, s’il vous plaît. Bonjour la France; donc. Oui, les libertés individuelles étaient donc mon seul lien avec la Nation des droits de l’homme. (Et les voyages à Saint-Tropez aussi, mais c’est moins classe.)
J’ai emménagé à Nice, puis à Paris. J’arrivais à vivre sans être victime de discrimination. Le racisme ne touche pas les gens peu défavorisés. A fortiori, il ne touche pas les filles un minimum désirables. Les hormones priment sur les convictions nauséabondes: c’est toujours ça de pris. La meilleure arme contre le racisme pourrait être le tourisme sexuel, après tout.
La discrimination des «miens»
Aucune discrimination contre ma délicate petite personne. Jamais. Sauf la discrimination des «miens». La preuve? Toi. Même dans un pays laïc, tu te permets de m’insulter. Et non, désolée mais la Gare du Nord n’est pas une enclave.
Je sais qu’il est quelque peu ardu de comprendre que malgré nos origines communes, j’ai une vie totalement différente de la tienne. Mais mets-toi en tête que s’il m’arrive à l’occasion de rougir d’être quelque peu privilégiée, je ne m’excuserai pas pour mes convictions religieuses et culturelles.
Que la «communauté» s’en accommode! Que les «miens», ceux qui ne sont pas en casquette, fassent avec!
Mais non, ils ne le font pas.
J’ai été quelque peu blacklistée à Nice, dans le cercle étudiant maghrébin. Depuis que l’on a découvert du jambon dans mon frigo et un Français dans mon lit, je suis devenue persona non grata.
Daisy Duck athée
Au début, j’en étais fort aise. Je n’avais plus à être évasive sur mes convictions religieuses. On ne m’appelait plus pour faire un tajine pour quinze personnes. Il y avait trop de photos de moi bourrée sur la Toile pour être encore considérée comme l’épouse idéale. Chic, on ne me tournait plus autour. Je ne vous ai pas dit? Je n’aime pas les circoncis.
Mais ça devenait de plus en plus compliqué: j’étais le paria d’une communauté qui s’acharnait à m’ignorer. On ne m’invitait plus aux soirées. Pire, on me supprimait de Facebook. Ça m’atteignait. Dans les communautés musulmanes, le vilain petit canard est tout simplement une Daisy Duck athée.
Ne généralisons pas, il y a toujours une bande d’irréductibles gaul… euh, beurs, pour se montrer accueillants malgré la différence. À ceux-là, j’adresse des salutations consensuelles mais néanmoins sincères et respectueuses.
Alors, mon grand, tu penses sérieusement que tu vas m’apprendre quelque chose sur moi? Tu crois réellement que j’ai besoin de toi pour savoir que je ne fais pas le Ramadan? Ou que j’ai besoin de tes insultes pour prendre conscience de ton mépris? Ton regard est assez explicite, merci.
Mais sache que je méprise ton mépris. Je suis une salope hérétique, mais en France, ce n’est pas proscrit. Alors, je t’emmerde. Je suis athée, et si je n’ai pas d’accent, ça ne veut pas dire que j’ai renié mes origines et mon éducation pour autant. Au contraire, j’en ai tiré ce qui me semblait judicieux. Un sens du partage, une fascination pour le patrimoine culturel, littéraire et architectural, une peau anti-coups de soleil et une immunité de Warrior face à la tourista.
Si ça peut te rassurer, tu as raison, je suis effectivement entre deux cultures. Je suis une bâtarde identitaire. Mon parcours ne rime à rien, je ne suis entièrement assimilée à aucune culture. Je suis amoureuse de plusieurs, en revanche. Et c’est très bien comme ça. Visiblement, tu ne sembles pas le comprendre, et c’est pour cette raison que j’ai eu l’outrecuidance de te traiter de tocard. Insolence que je maintiens, d’ailleurs.»
L’histoire veut que je sois restée, à dire ses quatre vérités à l’antipathique protagoniste tout en confessant les miennes. À donner une belle leçon de vie à ce philistin. Le laissant penaud, je serais repartie victorieuse. Le poids des mots, la force de la morale.
Soyons sérieux: si c’était le cas, je n’aurais pas les doigts assez fonctionnels pour taper sur le clavier. Non, il se trouve que mon instinct de survie s’est miraculeusement déclaré peu après mon impulsion verbale. C’est donc mue par la gracieuse célérité de la couardise que j’ai détalé.
Imane W. Arouet
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