lundi 25 novembre 2013

Prostitution


Sur cette page, je reproduis une interviewe d'Élisabeth Badinter publiée dans '' Le Monde '' :
" L’État n’a pas à légiférer sur l’activité sexuelle des individus "
Le Monde.fr | 19.11.2013
Elisabeth Badinter, 69 ans, est philosophe. Elle a souvent pris des positions à contre-courant sur les grands sujets de débats parmi les féministes: opposée à la loi sur la parité en 2000, elle est favorable à la grossessepour autrui sous certaines conditions. Dans son dernier ouvrage, Le Conflit: la femme et la mère(Flammarion, 2010), elle dénonçait le retour du naturalisme et de la culpabilisation des mères.


Qu'avez-vous pensé de l'appel des "343 salauds", qui s'opposent à la pénalisation des clients de prostituées au nom du respect de la liberté?C'était une intervention nécessaire, car je suis frappée du silence des hommes dans ce débat. Deux catégories d'individus ne s'expriment pas: les hommes, prochaines cibles de la loi, et les prostituées. La forme était contestable. Mais je n'ai pas de critiques sur le fond.


Pourquoi êtes-vous défavorable à la pénalisation des clients de prostituées?
La pénalisation, c'est la prohibition. Je préfère parlerde prohibition plutôt que d'abolitionnisme, car c'est l'objectif des auteurs de la proposition de loi. Ils font référence à l'abolition de l'esclavage ! La vente d'un individu n'est pas comparable à la prostitution, qui est une mise à disposition de son corps à des fins sexuelles, que l'on peut accepterou refuserdès lors que l'on n'est pas prisonnière d'un réseau. Leur argument est qu'il faut tarirla demande pour qu'il n'y ait plus d'offre. Je n'arrive pas à trouvernormal qu'on autorise les femmes à se prostituer, mais qu'on interdise aux hommes de faireappel à elles. Ce n'est pas cohérent et c'est injuste.

La deuxième raison de mon opposition est que l'on prétend qu'il n'y a que la prostitution esclavagiste, dominée par les réseaux, où les femmes n'ont pas moyen de dire non. Mais il y a aussi des indépendantes et les occasionnelles, qui veulent un complément de ressources. Leur interdirede faire ce qu'elles veulent avec leur corps serait revenir sur un acquis du féminisme qui est la lutte pour la libre disposition de son corps. Même si c'est une minorité de femmes. Ce n'est pas une affaire de quantité mais de principe.


Pourquoi, selon vous, les hommes sont-ils une "cible"de cette loi?Je ressens cette volonté de punirles clients comme une déclaration de haine à la sexualité masculine. Il y a une tentative d'aligner la sexualité masculine sur la sexualité féminine, même si celle-ci est en train de changer. Ces femmes qui veulent pénaliser le pénis décrivent la sexualité masculine comme dominatrice et violente. Elles ont une vision stéréotypée très négative et moralisante que je récuse.


Peut-on parlerde choix lorsqu'on est dans une stratégie de survie?
Toutes les femmes qui ont besoin d'argent ne se prostituent pas pour survivre! Pour les victimes des réseaux, on ne peut plus
parlerde choix car il est quasiment impossible de reveniren arrière. La lutte contre l'esclavage des femmes doit donc êtresans merci. Pour luttercontre les réseaux, il faut une condition sine qua non: que les prostituées puissent dénoncerleurs proxénètes à la justicesans craindrepour leur vie. Elles doivent êtreassurées de leur sécurité, d'avoirdes papiers, et d'êtreaidée. La loi contient des dispositions en ce sens, mais qui me paraissent vagues. Quel est le budget? Comment le prévoirquand on ne connaît même pas le nombre de prostituées? Est-ce que la lutte contre les réseaux sera une priorité pour la police? Je n'ai pas le sentiment que cela soit le cas.


Vous acceptez que des femmes se livrent à un travail très pénible, avec parfois des séquelles psychologiques lourdes?
Je n'ai jamais pensé que la dignité d'une femme reposait sur la sexualité. Je suis favorable à la pédagogie sur la prostitution et les séquelles qui peuvent en
résulter. Mais toutes les femmes n'ont pas le même rapport à leur corps. Dans certaines conditions, la prostitution est difficile à vivre, mais il y a des femmes pour lesquelles ce n'est pas aussi destructeur qu'on le dit. Je regrette qu'on n'entende pas davantage les prostituées. Elles seules sont habilitées à parler. Mais quand l'une affirme: "Je le fais librement", on dit qu'elle ment et qu'elle couvre son proxénète. Ce sont les seuls êtres humains qui n'ont pas le droit à la parole.


Quelles seront les conséquences de la loi selon vous? Est-ce qu'elle va mettrefin à la prostitution?Bien sûr que non. Je ne connais aucune prohibition qui fonctionne. Elle démultiplie le pouvoirdes mafieux. Les prostituées disent qu'elles ont besoin de parleravec le client pour savoirqui il est. Elles apprennent à détecterles pervers. Dans la négociation, la prostituée peut direce qu'elle fait ou ne fait pas. Je suis inquiète pour celles qui vont passerpar Internet: elles n'auront plus la possibilité de fairecet examen. Une loi qui veut venirau secours des plus faibles va en fait multiplierles dangers. D'ailleurs, la Norvègeveut revenirsur la prohibition décidée en 2009.


L'Etat ne doit-il pas direce qui est acceptable ou non, comme lorsqu'il interdit la vente d'organes ou fixe un salaire minimum?La vente d'organes est une mutilation définitive, le salaire minimum permet de luttercontre la misère. Ce n'est pas comparable. Sous prétexte de luttercontre les réseaux, c'est la prostitution qu'on veut anéantir. L'Etat n'a pas à légiférersur l'activité sexuelle des individus, à direce qui est bien ou mal. Où commence et où finit la prostitution? Combien de femmes ou d'hommes sont en couple pour l'argent? Personne ne songe à allery voir. On ne parle jamais de la prostitution masculine. Il y a aussi une misère sexuelle féminine et des femmes qui font appel à des prostitués. Il n'est plus alors question de domination masculine dénoncée par les auteurs de la loi.
La prostitution est-elle nécessaire pour l'assouvissement de certains besoins sexuels, faut-il en faireun métier comme un autre?
Oui, et c'est pour cela qu'on ne pourra pas l'éradiquer. Sur la légalisation, il faut êtreprudent. On voit qu'en Allemagne, les choses dérapent, les mafieux profitent de la reconnaissance de la prostitution. Il faut donc en faireune activité sécurisée, donneraux prostituées les droits qu'elles réclament, comme celui de s'associerou de louerun studio. Je voudrais tellement qu'on arrête de traiterles prostituées comme des rebuts de l'humanité. Un certain discours bien-pensant ne peut que les enfoncerdavantage dans l'humiliation - Fin de l’interviewe



[ Je fais mien ce point de vue :" L’État n’a pas à légiférer sur l’activité sexuelle des individus" - Crab ]

Suite :
http://laiciteetsociete.hautetfort.com/le-conflit-la-femme-et-la-mere/

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